Vi(c)e

Palpitations

Je suis défoncé.
Je viens de poser mon joint, déjà bien entamé. Je sors une cigarette de mon paquet pour accompagner mon verre de rosé.
Je n’ai plus à me demander quel jour nous sommes, à regarder l’heure sur mon téléphone et à prévoir mon programme de la semaine. J’ai donné ma démission vendredi, je n’ai plus le courage ni l’envie de continuer à travailler. Je suis une personne pour qui le travail est une affreuse perte de temps, bosser sept heures par jour pour une boîte qui nous exploite me rend fou.

Je n’ai jamais voulu être agent immobilier, la vie a fait que j’ai du accepter cet emploi en arrivant sur Lyon. Je n’ai pas eu beaucoup de mal à m’imposer et à exceller dans mon entreprise, j’ai le contact facile, je séduis facilement, même sans le vouloir.
La routine qui s’était installée me permettait de ne pas me poser beaucoup de questions, je me levais, me rendais au travail et je rentrais. Le temps libre qui me restait me servait à assouvir mes vices et à profiter de mon appareil photo.

Je ne roule pas sur l’or et je n’ai jamais été très prévoyant financièrement mais j’ai suffisamment d’argent sur mon compte pour tenir quelques mois, si je n’abuse pas trop.
Je suis revenu de Belgique hier soir après avoir rencontré le galeriste intéressé par mes photographies "érotiques". A peine les portes de son lieu d’exposition franchies que l’entente a été parfaite. Il a examiné chaque image que j’avais apporté, me donnant de précieux conseils, critiquant certains clichés avec honnêteté et professionnalisme.
Il me semble qu’il voulait réellement exposer mon travail mais je doutais quelque peu de moi-même. Plus que la peur d’être reconnu ou jugé par proches, ce qui me terrorisait était d’obtenir un statut de photographe, voir d’artiste. Ce mot me fait peur, je ne me considère pas comme un artiste mais plus comme un spectateur de l’humain et de ses travers.
Nous sommes allés déjeuner dans un bistrot et avons fini par boire quelques verres. Il a compris que j’avais besoin d’un peu de réflexion pour accepter d’exposer. Nous avons sélectionné au total vingt photographies et après de longues protestations de ma part, j’ai fini par accepter que mon premier cliché, celui avec l’étudiant des beaux-arts serait le visuel de l’exposition, utilisé pour la presse et pour un éventuel catalogue d’exposition.
Je sais pertinemment que je vais finir par approuver cette exposition mais je ne pouvais donner ma réponse à ce moment là. Il est nécessaire que j’y réfléchisse encore et que je prenne le temps de réaliser encore quelques photographies. En ce moment, je vois que je suis à un tournant de mon "travail", je suis de plus en plus conscient de que je produis, mon regard change et évolue, il devient sincère et intéressant.

Nous avons, avec le galeriste, décidé de nous revoir le mois prochain afin que je lui fournisse davantage d’images et que je lui donne mon accord. Je suis heureux, fier de constater que ma passion peut susciter un réel intérêt et peut-être me permettre de gagner ma vie.

Si je n’avais pas rencontré Tarek dans ce sauna parisien, je n’aurais probablement jamais eu une telle opportunité. Depuis que l’on s’est rencontré, on s’appelle assez souvent, on s’écrit et on se raconte à peu près tout. Je sens que je commence à m’attacher et c’est une mauvaise chose. C’est une personne très discrète mais avec une vie aussi dissolue que moi. Il m’a présenté un de ses amis, un acteur pornographique qui a accepté de me servir de modèle pour un prochain projet sur l’univers des films X.
Ils sont venus sur Lyon mercredi passer la journée ainsi que la nuit chez moi. Bien évidemment, nous avions prévus une séance photo afin d’alimenter ma possible exposition.
A peine arrivés, nous avons ouvert une bouteille de champagne avant de se faire quelques cocktails. Tarek et moi avons fumé deux joints alors que l’acteur se faisait un rail de coke. L’atmosphère devenait lourde et torride, j’ai sorti mon nouvel appareil photo et ai appuyé sur le déclencheur alors que mes modèles commençaient à s’embrasser.

A ce moment, j’ai senti quelque chose d’étrange en moi, accentué par l’effet de l’alcool et de la beuh. Mon coeur se serrait, je ressentais une jalousie intrusive et malaisante. J’ai continué à prendre des photos pendant que les deux hommes se déshabillaient et se lançaient dans des préliminaires endiablés.
J’ai hésité quelques instants à les rejoindre mais je me suis abstenu et ai continué mes photos. Plus le temps passaient et plus les corps se rapprochaient, plus je me sentais mal. Tarek me fixait du regard et à un moment il a senti que je n’allais pas bien. Mes gestes étaient saccadés, mes yeux devenaient humides et ma voix semblait cassée.
Il paraissait de moins en moins excité, il ne parvenait plus à se laisser toucher par l’acteur porno. Ce dernier, probablement à cause de la cocaïne, est devenu fou. Il a voulu pénétrer Tarek de force alors que ce dernier n’avait plus aucun désir. J’ai tenté de m’interposer, le type a fini par nous insulter avant de claquer la porte.
Tarek s’est approché de moi et m’a serré dans ses bras. Là, je me suis mis à pleurer, sans pouvoir me contrôler. Mon corps était secoué par les sanglots et plus je tremblais, plus il me serrait fort.

Nous nous sommes embrassés, avons passés la nuit ensemble sans rien faire, simplement enlacés.
Le lendemain il est parti prendre son train, je l’ai accompagné à la gare et cette fois, c’est lui qui a pleuré. Je l’ai serré contre moi, ne me souciant aucunement du regard pesant des familles autour de nous.
J’ai regardé monter dans le train et suis rentré fumer un joint.
J’ai du mal à me reconnaître et encore plus de mal à me comprendre, moi, mon coeur meurtri et mon esprit tordu.