Vi(c)e

Photographies intimes

Nous sommes dimanche, je suis assis sur le canapé de mon appartement Lyonnais. Il faut chaud, je bois un verre de rosé bien frais. Aujourd’hui, je ne travaille pas.
Je songe sérieusement à quitter mon travail. Hier j’ai eu un coup de folie, je me suis acheté un appareil photo à un peu plus de mille euros.
Je fais de la photographie depuis très longtemps. J’ai commencé avec un appareil numérique basique, photographiant mes soirées, mes amis et mes amants. J’aimais déambuler dans Paris, mon petit gadget entre les mains, capturant les ruelles biscornues, les lampadaires ou les tableaux des musées. Quelques années plus tard j’ai eu un ancien polaroïd appartenant à ma cousine puis un reflex offert à un anniversaire.

Je dois posséder plus de trois milles photographies, éparpillées sur différents disques dur, en majorité des portraits, quelques paysages ou espaces urbain et quelques photos pornographiques.
Enfin, lorsque je dis quelques, il s’agit en réalité d’une bonne centaine. Je ne les ai pas toutes gardées, effaçant parfois ces images sous un coup de colère ou de honte, mais la plupart sont toujours là. Je les regarde parfois, me remémorant ces souvenirs intimes que peu de gens avaient déjà vu, jusqu’à il y a deux semaines.

La première photo pornographie que j’ai prise a été lorsque j’avais dix sept ans. J’étais en couple avec un étudiant aux Beaux Arts, agé d’une vingtaine d’années. Il faisait un projet sur les corps marqués et souhaitait que je prenne en photos ses cicatrices. Il avait été agressé par deux blacks un soir en rentrant de Paris.
Voyant de par son look qu’il n’était pas hétéro, ils lui sont tombé dessus et l’ont emmené dans une ruelle. Après l’avoir tabassé, ils l’ont violé. L’un deux lui a gravé une sorte de croix près du pubis avec un canif. Les deux hommes n’ont jamais été retrouvés et il gardera probablement une marque à vie.

J’étais gêné et impressionné en le photographiant, la lumière était tamisée, il était nu et je faisais de gros plans sur cette affreuse marque. L’excitation est vite montée et j’ai continué à la prendre en photo. J’ai fini par poser l’appareil en retardateur pendant que nous faisions l’amour. Il y avait une trentaine de clichés, magnifiques.
Malheureusement, ce type était un connard, il m’a trompé plusieurs fois et j’ai appris plus tard qu’il monnayait parfois ses charmes auprès de vieux mecs mariés. Lorsque l’on s’est séparé, j’ai supprimé toutes ces photos, exceptée l’une d’elle, que je ne pouvais me résoudre à supprimer. J’ai renoncé à m’inscrire aux Beaux Arts, ne pouvant plus dissocier cette école de cette personne que j’aimais profondément et qui m’a détruite.

J’ai arrêté la photo quelques mois avant de m’y remettre. Inéxorablement, je finissais par orienter mes sujets vers le sexe. Je me rendais dans des clubs gay pour trouver des modèles, ce qui était chose aisée. Je commençais par photographie la soirée, les mecs qui dansaient, qui s’embrassaient ou riaient. Puis je finissais la soirée avec l’un de ces types, parfois plusieurs.
Il n’y avait pas toujours de passage à l’acte lors de ces "nuits photographies". J’aimais capturer le modèle chez lui, souvent dénudé. L’alcool et les joints aidaient à donner une magnifique lourdeur aux clichés que je prenais.
Lorsque mes modèles étaient seuls, je les photographiait en train de se masturber ou je mettais le retardateur pour nous avoir tous les deux dans le cadre. Les séances que je préférais étaient celles où nous finissions dans un appartement inconnu à plusieurs. La majorité du temps je ne faisais rien avec ces garçons, ils s’exécutaient et je me tenais à distance, appuyant sur le déclencheur, saisissant cette intimité partagée.

J’ai toujours gardé ces photos secrètes, n’en parlant qu’à ceux qui posaient ou a des amis très proches. En le rencontrant lui, j’ai laissé mon appareil de côté et je n’ai jamais évoqué ces clichés qui portant représentaient tellement pour moi. Un jour il a découvert sur une clé usb une grosse partie de mes photographies plus qu’érotiques. C’était au bout d’un an de relation idyllique, ses yeux emplis de larmes m’ont fait regretté cette passion perverse inscrite en moi.
Je me sentais sale, comme un pervers malade qu’il faudrait soigner. Nous avons fait un break d’une semaine. Je lui ai dit que j’avais supprimé toutes ces images mais c’était un mensonge. Malgré mon amour pour lui et mon envie de changer, je n’ai pu me résoudre à effacer définitivement ce pan de ma vie.

Après notre rupture et mon emménagement seul sur Lyon, je n’avais toujours plus goût à la photographie. Il m’a fallu un rebeu rencontré dans un parking pour sentir qu’il fallait que je ressorte mon reflex. Je n’ai pas eu beaucoup de mal à trouver des modèles et après plus de deux ans et demi, je sentais que mon regard avait changé.
J’étais plus mature, je faisais attention aux lumières, à l’atmosphère, au cadrage.

Dans un sauna à Paris il y a quelques semaines, je suis tombé sur un marocain sublime, Tarek. Je l’avais aperçu alors qu’il était assis sur un canapé, devant un film pornographique. A l’écran, deux rebeux s’embrassaient avant de se sucer. Je suis descendu et il m’a rejoint sous les douches et nous nous sommes embrassés passionnément. Nous sommes remontés dans l’espace fumeur, simplement avec une serviette autour de la taille. Je fumais un joint, aux aguets, ayant peur de me faire exclure et je lui ai parlé de mon projet photographique.
Il était sur la défensive, terrorisé à l’idée d’être reconnu mais a finalement accepté d’être pris en photo à condition qu’il y ait peu de lumière. Arrivés chez lui, je lui ai demandé de s’assoir par terre et ai déplacé une lampe afin que son visage soit presque entièrement dans l’ombre.
J’ai pris quelques clichés et ai fini par faire l’amour avec lui, sans utiliser mon appareil.
Je lui ai envoyé deux photos de lui.

Il y a deux semaines j’ai reçu un appel d’un galeriste à qui Tarek avait envoyé mes images. Il les a trouvées superbes et m’a demandé si j’en avais fait d’autres. Je lui ai envoyé quelques images prises précédemment et a voulu me rencontrer afin d’organiser un accrochage de mes clichés.
Je dois le rencontrer la semaine prochaine afin d’organiser une exposition potentielle. Je n’aurais jamais pensé qu’une telle chose était possible.
J’hésite encore, apeuré par la réaction de ma famille si elle venait à découvrir ce que je fais de mon temps libre. Il faudrait que je trouve un pseudonyme, mais mon visage et mon corps seront clairement affichés, sous les éclairages de cette galerie.

Je me donne quelques jours de réflexion pour y penser. En attendant je vais fumer un joint et appeler Tarek, chose que je fais un peu trop dernièrement.